Vannier, arrangeur et orchestrateur de génie. Rétrospective 1967-1977.

Peu de gens se rendent compte de l’importance de l’accompagnement musical dans la réalisation d’une chanson. Le culte de l’interprète, la fascination pour les auteurs et compositeurs font oublier que la magie de nombreux enregistrements est due parfois aussi en grande partie à l’originalité des arrangements (idées musicales, mélodiques, rythmiques et harmoniques) et de l’orchestration (choix des instruments pour jouer les arrangements).

Parmi les chanteurs français, celui qui a le mieux compris l’importance de bien s’entourer est sans doute Serge Gainsbourg. Le fin renard aux grandes oreilles et au flair impeccable a jusqu’à la fin des années 70 travaillé avec des arrangeurs de génie comme Alain Goraguer, Elek Bacsik, Michel Colombier, Arthur Greenslade, Jean-Claude Vannier ou Alan Hawkshaw.

Aujourd’hui, en France mais aussi en Angleterre et en Amérique, c’est le disque « Histoire de Melody Nelson » (1971) qui est reconnu comme le chef d’œuvre de l’homme à tête de chou. Cet album-concept doit énormément aux arrangements/orchestrations de Jean-Claude Vannier qui a composé également plusieurs musiques du disque. Avant de présenter le parcours de cet autodidacte qui a connu sa période de grâce entre 1967 et 1977, voici une brève présentation des arrangeurs/orchestrateurs de Gainsbourg avant sa rencontre avec Vannier.

Les arrangeurs de Gainsbourg avant la rencontre avec Jean-Claude Vannier

Serge Gainsbourg et Alain Goraguer

Dès le début de sa carrière, de 1958 à 1964[1], Gainsbourg confie ses chansons à Alain Goraguer connu en tant qu’arrangeur et compositeur pour Vian et ses interprètes. Excellent choix car ce dernier maîtrise alors parfaitement les courants musicaux en vogue (chanson, jazz, pop, rythmes latinaux et africains, …), et surtout possède une patte personnelle reconnaissable entre toutes. Cette période de Gainsbourg regorge de joyaux qui n’ont pas pris une ride comme par exemple Le poinçonneur des Lilas, Ce mortel ennui, La chanson de Prévert, Les goémons, Pauvre Lola ou Couleur café. Ces chansons seraient-elles devenues des classiques intemporels avec des arrangements moins riches et moins originaux ? Goraguer est aussi celui qui a initié le jeune Serge à la composition de musiques de films où le travail d’arrangement/orchestration est primordial. On leur doit, entre autres, les bandes originales de  « L’Eau à la bouche » (1959) et « Strip-Tease » (1962).

Serge Gainsbourg et Michel Colombier

En 1964, Goraguer ne veut plus travailler avec Gainsbourg car le chanteur, assoiffé de reconnaissance,  minimisait de plus en plus l’apport artistique de son arrangeur. Bon prince, Goraguer ne le laisse pas complètement tomber en lui recommandant de travailler avec un jeune arrangeur nommé Michel Colombier. De 1964 à 1969, naissent de cette nouvelle collaboration, la comédie musicale pop « Anna » (1967) avec la sublime chanson Sous le soleil exactement interprétée par Anna Karina, de nombreuses musiques de films comme « Si j’étais un espion » (1967), « Manon 70 » (1968) et « Le Pacha » (1968) ainsi que des titres phares de la période Bardot : Bonnie and Clyde, Harley Davidson, Je t’aime… moi non plus.

En parallèle, Gainsbourg se rend à Londres pour enregistrer de nombreuses pépites pop avec l’arrangeur Arthur Greenslade (Initials B. B., Docteur Jekyll et monsieur Hyde, Qui est in qui est out, L’anamour, 69 année érotique…) et quelques excellents titres avec David Whitaker (Comics trip, Torrey Canyon, Chatterton).

Vannier : Gainsbourg et les autres

Jean-Claude Vannier 1974

En 1969, le jeune Jean-Claude Vannier débarque dans la vie de Gainsbourg. Depuis deux ans, il se fait connaître en France comme arrangeur/orchestrateur et participe activement à l’émergence d’une pop francophone ambitieuse et sophistiquée qui n’a pas trop à pâlir devant les joyaux anglo-saxons du genre. Sa collaboration la plus riche fut sans aucun doute celle avec le grand Serge avec qui il écrit, entre 1969 et 1973, de nombreuses musiques et chansons mémorables de film tels que « Slogan » (1969), « Les chemins de Katmandou » (1969), « La Horse » (1969) ou « Cannabis » (1970), sans oublier les chansons de l’album-concept « Histoire de Melody Nelson » (1971) reconnu aujourd’hui comme le chef-d’œuvre incontournable du chanteur.

Avec Gainsbourg encore, Vannier arrange des chansons écrites pour Jane Birkin, France Gall et Françoise Hardy. A côté de cela, dans la période qui nous intéresse, il offre ses services (parfois aussi comme compositeur) à de nombreux artistes connus comme Barbara, Brigitte Fontaine, Claude Nougaro, Michel Jonasz, Sylvie Vartan, Michel Polnareff, Mike Brant, Gilbert Bécaud, Julien Clerc ou Johnny Halliday. De l’autre côté du miroir, il travaille pour toute une série d’artistes pop de second plan : Dani, Anna St.Clair, Léonie, Patricia, Les Fleurs de Pavot, Jean Constantin, Jacques Blanchard, Jacques Penuel , … . Et, paradoxalement, c’est souvent dans ces collaborations avec des artistes à la carrière éphémère qu’on trouve les véritables perles.

A  cette époque, Vannier livre aussi sous son nom, deux albums orchestraux d’une grande originalité devenus cultes : « L’enfant assassin des mouches » (1972) et « L’orchestre de Jean-Claude Vannier interprète les musiques de Georges Brassens » (1974).

Jean-Claude Vannier et Georges Brassens 1974

Aujourd’hui, la touche Vannier sixties-seventies – ses violons étrangement arabisants, ses instruments à cordes désaccordés, ses dissonances justement placées, ses basses mélodiques et groovantes – passionne de nombreux artistes, mixeurs, dj’s et mélomanes en tous genres, surtout en Angleterre et aux USA.

(Guillaume Duthoit)

PLAY LIST DE 19 TITRES EN ÉCOUTE ICI


[1] Hormis le disque « Confidentiel » (1963) arrangé et joué par Eleck Bacsik et Michel Gaudry.